ASMARA, la cité magnifique
Nous avons aimé cet article sur Asmara, présenté lors d’une de nos expositions... Il traduit très bien l’atmosphère de cette cité récente, et moderne, italienne, au charme exclusif. Beauté, douceur, architectures des années 1890-1900, 1930 et même un peu plus... un véritable trésor avec un peuple attachant.
Bienvenue à Asmara en Erythrée ASMARA VU PAR "LE MONDE"
Asmara a le charme d’une ville de province italienne. L’atmosphère y est douce et les températures sont agréables, qui pour un peu inciteraient au farniente. La ville, située à 2 400 mètres d’altitude, semble bien loin des fournaises des basses-terres littorales. Tout est calme, propre et ordonné. L’éclairage public fonctionne du crépuscule à l’aube. Il ne manque pas une ampoule aux lampadaires. Et la capitale de l’Erythrée - un pays africain de 3,5 millions d’habitants, parmi les plus pauvres de la planète - peut s’enorgueillir de compter deux pharmacies qui restent ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Des petits groupes d’enfants désoeuvrés traînent devant la cathédrale d’Asmara, un bâtiment lourd, de style lombard, en brique sombre, dont le clocher dépasse les cinquante mètres. La nuit venue, un néon agrémente la porte principale d’un Ave Maria bleu fluo, un tantinet anachronique. De vieilles femmes tendent discrètement la main dans le périmètre de charité de cette église consacrée en 1923. Plus loin, les passants freinent le pas et regardent les affiches de l’Impero, un cinéma construit dans les années 1930, à l’impressionnante façade pourpre. L’intérieur, aux volumes majestueux, est tout aussi surprenant, et les murs de la salle sont décorés de bas-reliefs allégoriques. L’un des projecteurs serait aussi vieux que l’Impero lui-même. Les Italiens ont imposé à l’Erythrée leur goût du cinéma. Asmara a compté jusqu’à neuf salles en activité. L’Odeon, le Roma et le Capitol enrichissent toujours la ville de leur architecture typique des années 1930. Par endroits, l’histoire semble s’être arrêtée. Dans les échoppes de barbier trônent de vieux fauteuils basculants. Le barbier, courte blouse blanche, rectifie le fil de son rasoir sur une lanière de cuir et travaille à l’ancienne, à grands coups de blaireau et de larges rasades de « sent-bon ». Dans les cafés, l’expresso est servi comme dans le sud de l’Italie par des garcons en pantalon et gilet noirs. La poste centrale, un pâté de maisons à elle seule, est un pittoresque bâtiment italien. Les façades sont vertes et ocres, une frise art nouveau court sous le toit. L’intérieur est rose pâle, une fausse mezzanine s’appuie sur des colonnes carrées. Des milliers de boîtes postales sont enchâssées dans des boiseries foncées. Rien n’a changé depuis les années 1920. L’Erythrée indépendante jouit de sa proximité avec l’Italie. Les noms italiens, gommés par l’Ethiopie de l’empereur Haïlé Sélassié et du dictateur Menguistu Haïlé Mariam, ont été partout réhabilités. Les quartiers résidentiels qui jouxtent le centre-ville sont bien entretenus. Les rues et les trottoirs sont propres. Des bougainvillées colorées jaillissent des grilles, dégoulinent de murs aux couleurs passées. Maisons et villas ont vieilli, mais ceux qui les ont construites seraient heureux de les voir aujourd’hui. Certaines sont de véritables petits palais. Comme la corruption et les détournements d’argent public, la délinquance et la criminalité n’existent pas, du moins à l’aune africaine. De jour comme de nuit, la ville est sûre. Un meurtre aurait toutefois été enregistré en 1999.
Des bus italiens relient Asmara et ses « banlieues ». Quelques voitures à cheval disputent aussi le bitume à la flotte de taxis jaunes. Une collection de Fiat 600 hors d’âge s’époumonent dans les côtes en toussant de grosses volutes nauséabondes. Elles ont atteint un kilométrage respectable, n’ont plus beaucoup de pièces d’origine et commencent à être supplantées par des voitures modernes, des Opel et quelques japonaises. Les chauffeurs, eux, continuent d’apprendre à conduire sur d’antiques et minuscules Fiat 500. F. F. Laforge